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I wasn't born to follow...
11 février 2008

Ceux qui ne construisent pas doivent brûler.C'est vieux comme le monde et la délinquance juvénile.

451 degrés Fahrenheit représentent la température à laquelle un livre s'enflamme et se consume. Dans cette société future où la lecture, source de questionnement et de réfléxion, est considérée comme un acte antisocial, un corps spécial de pompiers est chargé de brûler tous les livres dont la détention est interdite pour le bien collectif. Montag, le pompier pyromane, se met pourtant à rêver d'un monde différent, qui ne bannirait pas la littérature et l'imaginaire au profit d'un bonheur immédiatement consommable. Il devient dès lors un dangereux criminel, impitoyablement pourchassé par une société qui désavoue son passé. photo Extrait de "Fahrenheit 451" de Ray Bradbury : << Quand est-ce que tout ça a commencé, vous m'avez demandé, ce boulot qu'on fait, comment c'est venu, où, quand ? Eh bien, je dirais que le point de départ remonte à un truc appelé la Guerre Civile. Même si le manuel prétend que notre corporation a été fondée plus tôt. Le fait est que nous n'avons pris de l'importance qu'avec l'apparition de la photographie. Puis du cinéma, au début du vingtième siècle. Radio. Télévision. On a commencé à avoir là des phénomènes de masse. >> Assis dans son lit, Montag demeurait immobile. << Et parce que c'étaient des phénomènes de masse, ils se sont simplifiés, poursuivit Beatty. Autrefois les livres n'intéressaient que quelques personnes ici et là un peu partout. Ils pouvaient se permettre d'être différents. Le monde était vaste. Mais le voilà qui se remplit d'yeux, de coudes, de bouches. Et la population de doubler, tripler, quadrupler. Le cinéma et la radio, les magazines, les livres se sont nivelés par le bas, normalisés en une vaste soupe. Vous me suivez ? - Je crois. >> Beatty contempla le motif formé par la fumée qu'il avait rejétée. << Imaginez le tableau. L'homme du dix-neuvième siècle avec ses chevaux, ses chiens, ses charettes : un film au ralenti. Puis au vingtième siècle, on passe en accéléré. Livres raccourcis. Condensés. Abrégés. Tout est réduit au gag, à la chute. - La chute, approuva Mildred. - Les classiques ramenés à des emissions de radio d'un quart d'heure, puis coupés de nouveau pour tenir en un compte rendu de deux minutes, avant de finir en un résumé de dictionnaire de dix à douze lignes. J'éxagère bien sûr. Les dictionnaires servaient de référence. Mais pour bien des gens, Hamlet (vous connaissez certainement le titre, Montag ; ce n'est probablement qu'un vague semblant de titre pour vous, madame Montag...), Hamlet, donc , n'était qu'un digest d'une page dans un livre proclamant : Enfin tous les classiques à votre portée ; ne soyez plus en reste avec vos voisins. Vous voyez ? De la maternelle à l'université et retour à la maternelle. Vous avez là le parcours intellectuel des cinq derniers siècles ou à peu près. >> Mildred se leva et se mit à s'affairer dans la chambre, ramassant des objets qu'elle reposait aussitôt. Beatty fit commme si de rien n'était et poursuivit : << Accélérez encore le film, Montag. Clic ? Ca y est ? Allez, on ouvre l'oeil, vite, ca défile, ici, là, au trot, au galop, en haut, en bas, dedans, dehors, pourquoi, comment, qui, quoi, où, hein ? Hé ! Bang ! Paf ! Vlan, bing, bong, boum ! Condensés de condensés. Condensés de condensés de condensés. La politique ? Une colonne, deux phrases, un gros titre ! Et tout se volatilise ! La tête finit par vous tourner à un tel rythme sous le matraquage des éditeurs, diffuseurs, présentateurs, que la force centrifuge fait s'envoler toute pensée inutile, donc toute perte de temps ! >> Mildred retapait le dessus de lit. Montag sentit son coeur battre à grands coups lorsqu'elle tapota son oreiller. Et voilà qu'elle le tirait par l'épaule pour dégager l'oreiller, l'arranger et le remettre en place sous ses reins. Et peut être pousser un cri et ouvrir de grands yeux, ou simplement tendre la main, dire : << Qu'est-ce que c'est que ça ? >> et brandir le livre caché avec une touchante innocence. << La scolarité est écourtée, la discipline se relâche, la philosophie, l'histoire, les langues sont abandonnées, l'anglais et l'orthographe de plus en plus négligés, et finalement presque ignorés. On vit dans l'immédiat, seul le travail compte le plaisir c'est pour après. Pourquoi apprendre quoi que ce soit quand il suffit d'appuyer sur des boutons, pour faire fonctionner des commutateurs, de serrer des vis et des écrous ? -Laisse-moi arranger ton oreiller, dit Mildred. -Non ! murmura Montag. - La fermeture à glissière remplace le bouton et l'homme n'a même plus le temps de réfléchir en s'habillant à l'aube, l'heure de la philosophie, et par conséquent l'heure de la mélancolie. -Là, fit Mildred. -Laisse-moi tranquille, dit Montag. -La vie devient un immense tape-cul, Montag ; un concert de bing, bang, ouaaah ! -Ouaaah ! fit Mildred en tirant sur l'oreiller. -Mais fiche moi la paix, bon Dieu ! >> s'écria Montag. Beatty ouvrit de grands yeux. La main de Mildred s'était figée dérrière l'oreiller. Ses doigts suivaient les contours du livre et, comme elle l'identifiait à sa forme, elle prit un air surpris puis stupéfait. Sa bouche s'ouvrit poser une question... << Videz les salles de spectacles pour n'y laisser que les clowns et garnissez les pièces de murs en verre ruisselants de jolies couleurs genre confetti, sang, xérès ou sauternes. Vous aimez le base-ball, n'est-ce pas, Montag ? -C'est un beau sport. >> Beatty, presque invisible, n'était plus qu'une voix dérrière un écran de fumée. << Qu'est ce que c'est que ça ? >> demanda Mildred d'un ton presque ravi. Montag pressa son dos contre les bras de sa femme. << Qu'est-ce qu'il y'a là ? -Va t'asseoir ! >> tonna Montag. Elle fit un bond en arrière, les mains vides. << On est en train de causer ! >> Beatty continua comme si de rien n'était. << Vous aimez le bowling, n'est-ce pas, Montag ? -Oui. -Et le golf ? -C'est un beau sport. -Le basket-ball ? -Aussi. -Le billard ? Le football ? -De beaux sports, tous. -Davantage de sports pour chacun, esprit d'équipe, tout ça dans la bonne humeur, et on n'a plus besoin de penser, non ? Organisez et organisez et super-organisez des super-super-sports . Encore plus de dessins humorisitiques. Plus d'images. L'esprit absorbe de moins en moins. Impatience. Autoroutes débordantes de foules qui vont quelque part, on ne sait où, nulle part. L'exode au volant. Les villes se transforment en motels, les gens en marées de nomades commandées par la lune, couchant ce soir dans la chambre où vous dormiez à midi et moi la veille. >> Mildred quitta la pièce en claquant la porte. Les << tantes >> du salon se mirent à rire au nez des << oncles >>. << A présent, prenons les minorités de notre civilisation, d'accord ? Plus la population est grande, plus les minorités sont nombreuses. N'allons surtout pas marcher sur les pieds des amis des chiens, amis des chats, docteurs, avocats, commerçants, patrons, mormons, baptistes, unitariens, Chinois de la seconde génération, Suédois, Italiens, Allemands, Texans, habitants de Brooklyn, Irlandais, natifs de l'Oregon ou de Mexico. Les personnages de tel livre, telle dramatique, telle série télévisée n'entetiennent aucune ressemblance intentionelle avec des peintres, cartographes, mécaniciens existants. Plus vaste est le marché, Montag, moins vous tenez aux controverses, souvenez-vous de ça ! Souvenez-vous de toutes les minorités, aussi minimes soient-elles, qui doivent garder le nombril propre. Auteurs plein de pensées mauvaises, bloquez vos machines à écrires. Ils l'ont fait. Les magazines sont devenus un aimable salmigondis de tapioca à la vanille. Les livres, à en croire ces fichus snobs de critiques, n'étaient que de l'eau de vaisselle. Pas étonnant que les livres aient céssé de se vendre, disaient-ils. Mais le public, sachant ce qu'il voulait, tout à la joie de virevolter, a laissé survivre les bandes déssinées. Et les revues érotiques en trois dimensions, naturellement. Et voilà, Montag. Tout ça n'est pas venu d'en haut. Il n'y a pas eu de décret, de déclaration, de censure au déaprt, non ! La technologie, l'exploitation de la masse, la pression des minorités, et le tour était joué, Dieu merci. Aujourd'hui, grâce à eux, vous pouvez vivre constamment dans le bonheur, vous avez le droit de lire de sbandes déssinées, les bonnes vieilles confessions ou les revues économiques. -Oui, mais les pompiers dans tout ça ? demanda Montag. -Ah. >> Beatty se pencha en avant dans le léger brouillard engendré par la fumée de sa pipe. << Rien de plus naturel ni de plus simple à expliquer. Le système scolaire produisant de plus en plus de coureurs, sauteurs, pilotes de courses, bricoleurs, escamoteurs, aviateurs, nageurs, au lieu de chercheurs, de critiques, de savants, de créateurs, le mot "intellectuel" est, bien entendu, devenu l'injure qu'il méritait d'être. On a toujours peur de l'inconnu. Vous vous rappelez sûrement le gosse qui, dans votre classe, etait exceptionnellement "brillant", savait toujours bien ses leçons et répondait toujours le premier tandis que les autres, assis là comme autant de potiches le haïssaient. Et n'était-ce pas ce brillant sujet que vous choisissiez à la sortie pour vos brimades et vos tortures ? Bien sûr que si. On doit tous être pareil. Nous ne naissons pas libres et égaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend égaux. Chaque homme doit être à l'image de l'autre, comme ça tout le monde est content ; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion ! Un livre est un fusil chargé dans la maison d'à coté. Brûlons-le. Déchargeons l'arme. Battons en brèche l'esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l'homme cultivé ? Moi ? Je ne le supporterais pas une minute. Ainsi, quand les maisons ont été enfin totalement ingifugées, dans le monde entier (votre supposition était juste l'autre soir), les pompiers à l'ancienne sont devenus obsolète. Ils se sont vu assigner une tâche nouvelle, la protection de la paix de l'esprit ; ils sont devenus le centre de notre crainte aussi compréhensible que légitime d'être inférieur : censeurs, juges et bourreaux officiels. Voilà ce que vous êtes, Montag, et voilà ce que je suis. >> La porte du salon s'ouvrit et Mildred se tint sur le seuil, regardant tour à tour Beatty et Montag. Dérrière elle les murs de la pièce étaient inondés de feux d'artifice vert, jaune et orange qui grésillaient et explosaient au son d'une musique presque entièrement à base de tambours, de tam-tams et de cymbales. Ses lèvres remuèrent ; elle disait quelque chose mais le tintamarre couvrait sa voix. A petits coups, Beatty vida sa pipe dans le creux de sa main rose, examina les cendres comme si c'était là un symbole à diagnostiquer et à déchiffrer. << Il faut que vous compreniez que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d'inquiéter et de déranger nos minorités. Posez vous la question : Qu'est ce que nous désirons par-dessus tout dans ce pays ? Les gens veulent être heureux d'accord ? N'avez-vous pas entendu cette chanson toute votre vie ? Je veux être heureux, disent les gens. Eh bien, ne le sont-ils pas ? Ne veillons-nous pas à ce qu'ils soient tojours en mouvement, à ce qu'ils aient des distractions ? Nous ne vivons que pour ça, non ? Pour le plaisir, l'excitation ? Et vous devez admettre que notre culture nous fournit tout ça à foison. -Oui. >> Montag lisait sur les lèvres de Mildred ce qu'elle était en train de dire depuis le seuil. Il s'efforça de ne pas regarder sa bouche, car Beatty risquait de se tourner et de lire lui aussi les mots qu'elle prononçait. << Les Noirs n'aiment pas Little Black Sambo. Brîlons-le. La Case de l'Oncle Tom met les Blancs mal à l'aise. Brûlons le. Quelqu'un à écrit un livre sur le tabac et le cancer des poumons ? Les fumeurs pleurnichent ? Brûlons le livre. La sérénité, Montag. La paix, Montag. A la porte, les querelles. Ou mieux encore, dans l'incinérateur. Les enterrements sont tristes et païens ? Eliminons-les également. Cinq minutes après sa mort une personne est en route vers la Grande Cheminée, les Incinérateurs desservis par hélicoptère dans tout le pays. Dix minutes après sa mort, l'homme n'est plus qu'un grain de poussière noire. N'épiloguons pas sur les individus à coups de mémoriam. Oublions-les. Brûlons-les, brûlons tout. Le feu est clair, le feu est propre. >> Les feux d'artifice se turent dans le salon dérrière Mildred. Elle s'était arrêtée de parler en même temps ; une coïncidence miraculeuse. Montag retint sa respiration. << Il y'avait une jeune fille à côté, dit-il lentement. Elle est partie, je crois, morte. Je ne me souviens même pas de son visage. Mais elle était différente. Comment...comment ça se fait ? Beatty sourit. << Ici ou là, ce sont des choses qui arrivent fatalement. Clarisse McClellan ?On a un dossier sur sa famille. On les surveillait de près. L'hérédité et le milieu sont de drôles de trucs. On ne peut pas se débarasser de tous les canards boiteux en quelques années. Le milieu familial peut défaire beaucoup de ce qu'on essaie de faire à l'école. C'est pourquoi on a abaissé progressivement l'âge du jardin d'enfants et qu'on prend maintenant les gosses pratiquement au berceau. On a eu quelques fausses alarmes sur les McClellan quand ils habitaient Chicago. On n'a pas trouvé le moindre livre. L'oncle avait un dossier couci-couça : insociable. La fille ? Une bombe à retardement. La famille l'influençait au niveau du subconscient, j'en suis sûr, d'après ce que j'ai vu dans son dossier scolaire. Elle ne voulait pas savoir le comment des choses, mais le pourquoi. Ce qui peut être génant. On se demande le pourquoi d'un tas de choses et on finit par se rendre très malheureux, à force. Il vaut bien mieux pour cette pauvre fille qu'elle soit morte. -Oui, morte. -Heureusement, les toqués dans son genre sont rares. A présent, on sait comment les étouffer dans l'oeuf. On ne peut pas construire une maison sans clous ni bois. Si vous ne voulez pas que la maison soit construite, cachez les clous et le bois. Si vous ne voulez pas qu'un homme se rende malheureux avec la politique, n'allez pas lui casser la tête en lui proposant deux points de vue sur une question ; proposez-lui en un seul. Mieux encore, ne lui en proposez aucun. Qu'il oublie jusqu'à l'existence de la guerre. Si le gouvernement est innéficace, pesant, gourmand en matière d'impôts, cela vaut mieux que d'embêter les gens avec ça. La paix, Montag. Proposez des concours où l'on gagne en se souvenant des paroles de quelque chanson populaire, du nom de la capitale de tel ou tel Etat ou de la quantité de maïs récolté dans l'Iowa l'année précédente. Bourrez les gens de donnée incombustibles, gorgez- les de "faits", qu'il se sentent gavés, mais absolument "brillants" coté informations. Ils auront alors l'impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du sur-place. Et ils seront heureux parce que de tels faits ne changent pas. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie pour relier les choses entre elles. C'est la porte ouverte à la mélancolie. Tout homme capable de démonter un télécran mural et de le remonter, et la plupart des hommes en sont aujourd'hui capables, est plus heureux que celui qui essaie de jouer de la règle à calcul, de mesurer, de mettre l'univers en équations, ce qui ne peut se faire sans que l'homme se sente solitaire et ravalé au rang de la bête. Je le sais, j'ai essayé. Au diable, tout ça. Alors place aux clubs et aux soirées entre amis, aux acrobates et aux préstidigitateur, aux casse-cou, jet cars, motogyres, au sexe et à l'héroïne, à tout ce qui ne suppose que des réflèxes automatiques. Si la pièce est mauvaise, si le film ne raconte rien, si la représentation est dépourvue d'intérêt, collez-moi une dose massive de thérémine. Je me croirais sensible au spectacle alors qu'il ne s'agira que d'une réaction tactile aux vibrations. Mais je m'en fiche. Tout ce que je réclame, c'est de la distraction. >> Alors oui,l'extrait choisi est long, mais je ne pouvais couper le moment crucial du roman, celui où le bon fonctionnement de cette fausse utopie est expliquée, ce qui fait que Farenheit 451 est un roman d'anticipation : parce que ce qui est décrit dans cette extrait, les causes de ce monde où toute culture est brulée dans un feu purificateur, est plus probable que jamais...il ne s'agit pas de fiction rocambolesque, tout cette explication s'embrique parfaitement et demeure hautement prophétique ; il suffit de regarder notre monde aujourd'hui dans lequel toute minorité s'offusque lorsque on a le malheur de l'égratigner un tant soit peu (cf : "Les caricatures de Mahomet" pour ne citer que cela ), notre société actuelle parvient à un point où elle manque tellement d'auto-dérision qu'elle en vient à se demander sur chaque article la concernant "est ce que c'est humoristique ou méchant ?...dans le doute,disons que c'est dans un but négatif", une société imbue de sa personne, trop... On compare souvent Farhenheit 451 à 1984 de Georges Orwell, pour le descriptif et l'anticipation d'une société future effrayante parce que tellement probable, mais dans le roman de Bradbury, il subsiste un espoir, ce qui n'éxiste pas à la fin de celui d'Orwell, et 1984 est totalitaire alors que Farenheit 451 est anarchiste/faussement utopique, l'histoire d'un homme emplit de doute qui après une rencontre fatidique entrevoit les ténèbres dessous le vernis rose de ce monde auquel il croyait, un homme qui va progressivement perdre foi en cette réalité faussée et qui va se battre pour une réalité moins jolie mais matérielle...une vie pourrie vaut mieux qu'une putain d'illusion.
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